"Une fois la musique créée, enregistrée et produite, il reste une étape avant de pouvoir l’écouter sur les plateformes de streaming ou sur disque : le mastering. Finitions de l’ombre et travaux techniques, on vous embarque tout au long de l’été dans trois studios spécialisés dans cette opération d’orfèvrerie. Première étape à Sodasound, dans l’Est parisien.
Pour créer un morceau, il y a, dans l’ordre des choses et pour simplifier au possible : l’inspiration, la composition, l’enregistrement, la production et le mastering. Les quatre premieres peuvent se faire en même temps ou bien l’une après l’autre, dans un ordre défini ou bien très flou, c’est selon. Une chose reste, quand tout est fini, poli, lustré au possible : le mastering. Cette étape qui fait passer un titre composé en studio ou à la maison dans des cases bien définies, celles des normes d’écoutes et des standards, de la plateforme d’écoute basse définition au disque vinyle. Une étape qui prend donc un titre terminé (dans le sens de la composition et de la création) et l’amène vers un produit fini écoutable convenablement par tous.
Une opération de finition, obscure car précise et technique, qui vient améliorer, forcément, les travers et défauts que les artistes ont mis dans leurs créations, intentionnellement ou non. Gommer les trous, pousser les ondes sonores vers un standard acceptable et accepté par les outils d’aujourd’hui – on parle de LUFS, pour Loudness Unit Full Scale, unité de mesure utilisé dans toute l’industrie qui a pour but d’imposer un volume sonore ressenti constant et égal entre différents titres pour éviter les changements trop brusques de volume et infine, avoir une qualité d’écoute plaisante.
Passer au mastering, c’est faire entrer ses productions dans ces normes donc. Et elles peuvent être très diverses : plateformes d’écoutes, mais aussi vidéo, vinyle, CD et aussi le club. Chaque support a ses propres spécificités et un des buts de l’opération est de faire en sorte que le morceau en question sonne le mieux possible pour l’écoute que l’on va avoir. C’est aussi diriger le titre vers le « son » que l’on souhaite avoir : renforcer les basses, garnir les aigus, alléger ceci, augmenter cela, vous voyez l’idée. Pour cette opération chirurgicale et parfois douloureuse, il est nécessaire de passer la main à des professionnels. Des studios de mastering, même à Paris, il n’y en a pas beaucoup.
Équipements lourds, savoir-faire précis et coûts du travail : on a voulu en savoir plus sur ces métiers de l’ombre et ces lieux un peu magiques. La première étape sur les trois que compte notre série de l’été sur ces lieux nous emmène dans l’Est parisien, à Sodasound.
Une fois les lourdes portes franchies, on est saisi par le confort sonore et la fraicheur du lieu ; et par cette chaude journée de printemps, c’est un plaisir d’être sous-terre. Feutré, doux, calme malgré les sons qui sortent à fort volume de murs d’enceintes, SodaSound impose par un standing certain : une grande salle de production, occupée ce jour-ci par des artistes en plein travail, mais aussi deux petits studios, et d’autres encores. Julien Maurel, cofondateur et DA de la structure, est multitâche. Tout comme son lieu : studio de mastering donc, mais aussi studio d’enregistrement et de mixage. De la création à la postproduction en un seul lieu qui ne s’arrête pas là, car SodaSound est aussi une agence créative, un label et de l’événementiel. « On offre un package complet, une prestation globale » nous détaille Julien. Sur le mastering, l’expérience est acquise depuis les débuts du studio, il y a une décennie.
Une question nous vient tout de suite : techniquement, comme ça marche ? « On fait rentrer un morceau dans nos machines et on équilibre le tout, pour une meilleure écoute ou les envies de l’artiste. » Il n’en dira pas plus, partagé entre les secrets de fabrications et les considérations techniques qui pourraient perdre tout non-initié.
Il n’existe plus qu’une bonne dizaine de studios de mastering en France, et les bons « se comptent sur les doigts d’une main » ajoute Julien. Une disparition d’un savoir-faire lié à l’évolution du marché du disque et les soubresauts d’une industrie en permanente reconversion : vinyle, CDs, mp3, streaming, tous s’entremêlent à présent. Ce savoir-faire et les équipements, lourds, liés, n’est pas égal partout, comme dans tout milieu. Il y a du low cost et du luxe, du service premium et de l’abattage. « On peut envoyer un titre pour être masteré en Allemagne ou en Angleterre pour quelques euros », pays réputés pour être moins cher que la France. Mais tout se fait à la chaine, avec aucun droit de regard sur le résultat. À l’inverse et surtout aux États-Unis, le mastering est bien plus développé et respecté, et les prix y sont plus élevés qu’en Europe. Comptez une dizaine d’euros par titre pour un mastering express en Allemagne, jusqu’à quelques centaines de dollars de l’autre côté de l’Atlantique, voire le millier si vous souhaitez que des pontes jettent une oreille sur vos travaux (au hasard, Rick Rubin). SodaSound se situe entre les deux extrêmes, pour « une soixantaine d’euros par titre. » Un entre-deux qui s’affirme par la « qualité d’écoute, de travail et de matériel ».
Le mastering, c’est aussi des décisions à prendre et des directions à choisir ; que faire ressortir un peu plus dans une chanson ? Quelle tonalité donner à ce refrain, à cette partie, à la basse ? Comment faire pour arranger telle partie et pas une autre ? Il s’instaure un dialogue avec l’artiste – présent le plus possible avec l’ingénieur responsable du mastering, c’est un souhait du studio. « On ne travaille qu’avec des gens avec qui le feeling se fait, est bon » nous dit Julien. « C’est une étape délicate pour les artistes de voir leurs titres être jugés par d’autres, autant être en bonne intelligence et en bonne entente. » On imagine des montagnes de crises de nerfs, de discussions tendues et de compromis pas faciles. « Le mastering ne résout malheureusement pas tout », nous assène-t-il. « On fait avec ce que l’on a. » Sous-entendu : si le morceau est de mauvaise qualité – prise de son pas optimale, production bancale, le meilleur ingénieur maison ne pourra rien n’y faire. Des détails une fois le titre mis sur une plateforme d’écoute à basse définition, mais qui dans le studio du 20ᵉ arrondissement, sonnent tout autrement, au grand dam des compositeurs assis eux aussi derrière la console. « Le mastering est une psychanalyse pour les artistes », philosophe Julien. Et on veut bien le croire."
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"Once the music has been created, recorded and produced, there is one more step before it can be listened to on streaming platforms or on record: mastering. We take you on a journey throughout the summer to three studios specialising in this goldsmithing operation. First stop at Sodasound, in the east of Paris."
To create a song, there is, in order of things and to simplify as much as possible: inspiration, composition, recording, production and mastering. The first four can be done at the same time or one after the other, in a definite or very vague order, depending on the situation. One thing remains, when everything is finished, polished to a high gloss: the mastering. This stage which puts a track composed in the studio or at home into well-defined boxes, those of the listening norms and standards, from the low definition listening platform to the vinyl record. A stage that takes a finished track (in the sense of composition and creation) and brings it to a finished product that can be listened to properly by everyone.
A finishing operation, obscure because it is precise and technical, which inevitably improves the flaws and defects that the artists have put into their creations, intentionally or not. To erase the holes, to push the sound waves towards a standard acceptable and accepted by today's tools - we speak of LUFS, for Loudness Unit Full Scale, a unit of measurement used throughout the industry whose aim is to impose a constant and equal sound volume between different titles to avoid too sudden changes in volume and, in short, to have a pleasant listening quality.
Mastering means bringing your productions into line with these standards. And they can be very diverse: listening platforms, but also video, vinyl, CD and also the club. Each medium has its own specificities and one of the aims of the operation is to ensure that the track in question sounds as good as possible for the listening audience. It's also about directing the track towards the 'sound' you want to have: boosting the bass, filling in the treble, lightening this, increasing that, you get the idea. For this surgical and sometimes painful operation, it is necessary to hand over to professionals. Mastering studios, even in Paris, are few and far between.
Heavy equipment, precise know-how and the cost of work: we wanted to know more about these shadowy jobs and these somewhat magical places. The first of our three-part summer series on these places takes us to Sodasound in eastern Paris.
Once through the heavy doors, one is struck by the comfort of the sound and the coolness of the place; and on this warm spring day, it is a pleasure to be underground. Muffled, soft, calm despite the sounds that come out at high volume from the walls of speakers, SodaSound imposes a certain standing: a large production room, occupied this day by artists in full work, but also two small studios, and others still. Julien Maurel, co-founder and DA of the structure, is multi-tasking. Just like his place: mastering studio, but also recording and mixing studio. From creation to post-production in one place, but it doesn't stop there, because SodaSound is also a creative agency, a label and an event management company. "We offer a complete package, a global service," explains Julien. As far as mastering is concerned, the experience has been acquired since the studio's beginnings, a decade ago.
One question immediately comes to mind: technically, how does it work? "We put a track into our machines and balance it out, for better listening or the artist's wishes. He won't say more, divided between manufacturing secrets and technical considerations that could lose any layman.
There are only about ten mastering studios left in France, and the good ones "can be counted on the fingers of one hand", adds Julien. The disappearance of a know-how linked to the evolution of the record market and the upheavals of an industry in permanent reconversion: vinyl, CDs, mp3, streaming, all are now intermingled. This know-how and the heavy equipment linked to it is not equal everywhere, as in any environment. There is low cost and luxury, premium service and slaughter. "You can send a title to be mastered in Germany or England for a few euros", countries reputed to be cheaper than France. But it's all done on the assembly line, with no control over the result. On the other hand, and especially in the United States, mastering is much more developed and respected, and prices are higher there than in Europe. Count on about ten euros per track for an express mastering in Germany, up to a few hundred dollars on the other side of the Atlantic, or even a thousand if you want the big boys to listen to your work (at random, Rick Rubin). SodaSound is somewhere in between, for "about sixty euros per track. A middle ground that is affirmed by the "quality of listening, work and equipment".
Mastering is also about making decisions and choosing directions; what should stand out a little more in a song? What tone to give to this chorus, to this part, to the bass? How to arrange this part and not another? A dialogue is established with the artist - present as much as possible with the engineer in charge of mastering, it is a wish of the studio. "We only work with people with whom we have a good feeling," says Julien. "It's a delicate stage for artists to have their tracks judged by others, so we might as well be on good terms and in good agreement. We can imagine mountains of nervous breakdowns, tense discussions and difficult compromises. "Unfortunately, mastering doesn't solve everything," he says. "You do with what you have. In other words, if the track is of poor quality - sub-optimal sound recording, shaky production - the best in-house engineer can't do anything about it. Details that once the track is put on a low-definition listening platform, but which in the studio of the 20ᵉ arrondissement, sound quite different, to the great displeasure of the composers also sitting behind the console. "Mastering is a psychoanalysis for artists," Julien philosophises. And we want to believe him."